Des emplettes

Rentrant d'un camp ennemi, harrassé et en plus harcelé par son garde du corps qui lui prenait le chou parce qu'il avait préféré le chemin le plus long et soi-disant le plus dangeureux, Arthur traversait le marché à grands pas. Ca puait sérieusement dans le coin mais il était vanné, et de toute façon, un bain faisait partie de ses projets.
Il s'arrêta net en reconnaissant une silhouette impossible à confondre : Merlin. Celui-ci entra dans une première échoppe, puis une seconde, il semblait complètement paumé, pour ne pas changer...
- Qu'est-ce que vous foutez là, vous ? Une nouvelle recette de soupe au lard à base de...
Il jeta un coup d'oeil à la sinistre devanture que l'enchanteur venait de quitter
- ... cire chaude ?

Nouvelle échoppe nouvelle décéption, le vendeur n'avait toujours pas ce que Merlin cherchait. L'enchanteur en avait déjà marre, il avait mal aux pieds la route était longue et en plus ces andouilles s'étaient donné le mot pour l'emmerder !
Une voix le fit alors sortir de ses grognements bougons, une voix qu'il reconnaîtrait entre mille, le Roi .
Il se tourna, avec toute la vivacité que sa carcasse de vieillard -bien conservé s'il vous plait- lui permettait.

-Sire ! Nan, je viens chercher des ingrédients pour mes baumes et pas une seule boniche à l'horizon pour faire mes courses alors j'ai dû venir moi même mais ces pechenos sont pas foutus d'avoir des produits corrects !

Comme souvent quand il se trouvait face à Merlin ou à l'un des brillants chevaliers de la Table Ronde, Arthur maudit le destin qui lui avait fait la sale blague de l'élire au rang de chef de file des clampins.
- Et l'idée que vous vous plantiez parce que vous êtes dans le coin des artisans et pas dans celui des herboristes ne vous a pas effleuré ?
Il reprit sa respiration pour essayer de rester calme et vaguement poli avec l'enchanteur officiel de Kaamelott, mais se dit finalement qu'il n'en avait rien à foutre.
- Et je vous signale que les boniches ne sont pas là pour faire vos courses de toute façon. Même si au rythme où ça va, elles feraient parfois mieux de faire directement vos potions, on aurait moins l'impression que vous passez votre temps à inventer l'eau de source !
Voilà, le ton était monté plus qu'il ne le voulait, mais entendre Merlin parler de créer des baumes lui rappelait encore une fois que son armée se prendrait sans doute moins de peignées si celui-ci inventait des sorts plutôt que des crèmes à raser... Encore que...

Aux propos du Roi, Merlin jeta un coup d'oeil dans la rue et eut un haussement d'épaules agacé.

-Ce que j'en sais moi, j'y patauge pas souvent dans votre ville de bouseux !

Non mais c'est vrai, fallait pas le prendre pour une truffe, pourtant... c'est ce qu'Arthur était en train de faire et la voix de Merlin monta d'un cran alors qu'il lui répondit avec hargne.

-Je fais pas de l'eau de source, y'en a marre d'être pris pour un clampin bordel, c'est pas parce que vos chevaliers sont pas foutus de se battre que vous devez vous passer les nerfs sur moi ! Et s'ils étaient plus malins, vous seriez déjà au courant que j'ai inventé une potion des plus utiles, seulement se marrer à se ballader et me faire tomber sans qu'on les voie, ça les amuse plus que de servir leur roi, alors hein !!

Il n'allait sans doute rien y comprendre mais Merlin s'en foutait, il en avait marre d'être pris pour un abruti

Arthur écarquilla les yeux en entendant la réponse de Merlin. Il se demandait souvent s'il n'avait pas trop tendance à la souplesse mais là, ça poussait.
- Pour commencer, mon p'tit père, vous allez baisser d'un ton et fissa ! Non mais ! C'est pas parce que vous savez pas lire une enseigne que vous êtes devenu incapable de comprendre le fonctionnement d'une hiérarchie !
Il avait à peine écouté la suite des délires de l'enchanteur mais radoucit un peu le ton pour continuer. Qui sait, ce crétin avait peut-être vraiment fait une découverte, ce serait con quand même de passer à côté, d'autant qu'il ne risquait pas de s'en souvenir longtemps...
- Et maintenant, vous allez m'expliquer calmement votre charabia, c'est quoi cette potion révolutionnaire que vous avez... inventée ?
Il avait eu malgré tout du mal à prononcer le dernier mot. La dernière fois que Merlin avait couru le château pour clamer ses talents, il s'agissait de faire blanchir le chou sans utiliser d'eau alors... Il ne sentait tout de même pas l'enthousiasme l'innonder...

Le reproche du roi n'était sans doute pas volé, bien que Merlin n'en avait rien à faire, il émit tout de même un petit "hmmph" vexé, dans sa barbe.
Puis, à son plus grand plaisir, le roi adoucit le ton, visiblement intérressé par sa découverte. Gratouillant sa barbe d'un air hautement satifsait de lui-même, il redressa les épaules en plongeant son regard dans celui du souverain. Et s'il le laissait dans l'ignorance, juste pour lui montrer qu'on ne traite pas Merlin comme ça ? Non, il allait être plus intelligent et lui parler de sa découverte, et puis il était trop fier de lui pour rater une si belle occasion de s'en vanter.

-Une potion d'invisibilité, Sire. Mais bien entendu quand Perceval a du prendre une bouteille d'eau de vie dans mon armoire, à ma demande, cet imbécile a pris la potion et l'a bue alors que je pensais profiter de cette occasion pour vous en montrer les effet, l'imbécile s'est barré pour faire des farces dans le châtreau

Arthur le regarda un moment avec les yeux ronds, le souffle coupé.
- Vous avez réussi une potion d'invisibilité et vous en avez testé la réussite sur Perceval ?
C'était tout bonnement génial ! Bien sûr, il allait devoir se fendre de sacrées excuses par rapport à l'autre buse, mais là, ça valait la peine de se taire... En plus, il ne pouvait s'empêcher de se dire que rendre Perceval invisible n'était pas en soi une mauvaise idée.
Soudain, la manière dont la potion avait été testée lui revint à l'esprit... Il referma les yeux, ayant presque peur de poser la question, mais ce ne serait pas la première fois qu'il se serait fait une fausse joie pour pas grand chose.
- Non, mais attendez ! C'est une potion que vous avez faites exprès... enfin, je veux dire, vous avez noté la recette et vous pouvez en refaire à volonté ? Hein ? c'est bien ça ?
Il avait très envie de choper Merlin par le col pour le secouer mais décida de lui laisser encore le bénéfice du doute quelques minutes.

-Et oui !
La réponse en elle-même était déjà empreinte de suffisance, mais plus que cela, tout dans l'attitude de Merlin montrait une grande fierté, son égo semblait se gonfler à vue d'oeil mais à la question du roi, il se dégonfla comme un ballon de baudruche percé. Elle l'enchanteur commeça à louvoyer

-A vrai dire, ce n'est pas exactement comme ça que ça s'est passé. Mais j'avais bien l'intention de créer cette potion, c'était d'ailleurs mon but premier lorsque le chevalier Perceval est venu me demander une précision sur excalibur. Vous comprenez, il avait un peu de mal à saisir le pourquoi du comment, alors je me suis efforcé de lui expliquer, je ne pouvais pas laisser un chevalier, qui fait partie de la noble table ronde, à la recherche du saint graal, et au service de votre personne, dans l'ignorance.

Ben voilà, il s'y était si bien pris, qu'il ne savait même plus lui-même où il voulait en venir.

Excalibur expliquée à Perceval par Merlin, ça avait dû être quelque chose... Mais de quoi parlait cet idiot à la fin ?
- Non, mais ça, je m'en fous !
L'enchanteur savait être aussi brouillon dans ses explications que dans ses fonctions mais Arthur avait plus de suite dans les idées et là, il était bien décidé à connaître le fin mot de l'histoire : miracle ou nouvelle déception en vue ?
Il pointa son doigt vers la poitrine du druide en martelant chaque mot.
- Est-ce que vous avez, oui ou non, créé une potion d'invisibilité ? qui marche, que vous êtes capable de refaire à volonté, dont vous avez la recette soit sur un parchemin, soit en mémoire...
En prononçant les derniers mots, il se rendit compte de la stupidité de la question. A tous les coups, Merlin avait encore mélangé ses fioles et sa potion était définitivement aux oubliettes, sauf si on ouvrait Perceval en deux pour en retrouver des traces, et encore...

Bon ben finalement sa technique, pourtant bien rodée, pour détourner la conversation avait foirée. Bon ben de toute manière il faudrait bien qu'il lui réponde. Il fit cependant un pas en arrière, mine de rien, tout en regardant le ciel de l'air le plus innocent du monde.

-Oui j'en ai crée une qui marche. Je suis capable de la refaire oui parce qu'en fait et ben la recette je l'ai notée soigneusement y'a juste un hic...

L'enchanteur se tordit les mains puis continua.

-Vous vous souvenez les potions contre l'angine que j'ai vendu pendant un marché là ? Quand je voulais vous prouver que le peuple apprécierai mes talents... ben....

Il s'arrêta, regardant de gauche à droite, à gauche, à droite, à .... bref il ne regardait surtout pas le souverain

Comme à chaque fois qu'il discutait de potions avec Merlin ou de stratégie militaire à la Table Ronde, l'humeur d'Arthur ne cessait d'osciller entre l'espoir et la profonde dépression. Mais là, la réponse fuyante de Merlin allait sans doute l'achever.
- Et bien quoi ? vous avez vendu vos potions d'invisibilité sur le marché ? On doit avoir un sacré nombre de péquenots qui sont super contents de ne plus avoir mal à la gorge...
Il commençait lui aussi à lancer des regards nerveux autour de lui. Si Merlin avait encore fait l'andouille, il y avait peut-être deux fois plus de crétins dans les environs que ceux qu'on voyait. Mais pour l'instant, le crétin qui l'intéressait était bien visible et en face de lui.
- Bien sûr, comme vous avez créé la potion par erreur, inutile de penser que vous en avez l'antidote...
On y était, en pleine déprime... Il avait soudain envie de mettre sa main dans la tronche de l'enchanteur, juste pour se remonter le moral.

C'est vrai que le roi était très fort, il avait deviné tout seul ce que Merlin n'avait même pas encore dit.

-Heu oui, en gros, c'est ça, j'en ai vendu quelques unes...

Il n'allait pas avouer qu'un stock d'une cinquantaine de bouteilles étaient parties... Arthur posa la question qui mit un peu l'enchanteur en colère. Il répondit d'un ton un peu plus mordant qu'il ne l'aurait voulu.

-Ben non y'a pas l'antidote, j'ai pas que ça à foutre moi entre vos gugusses qui viennent me pomper l'air et mes découvertes je sais pas être partout et puis ce mois ci y'a eu plein de réunions de druides, de toute façon une fois que l'organisme a éliminé la potion ben ils redeviennent visibles...enfin.. je crois. Faudrait demander à Perceval, si on le retrouve....

Arthur serrait les dents et les poings. Il se demandait encore comment réagir face à Merlin, mais depuis le temps, il aurait dû avoir l'habitude...
- C'est peut-être pas le tout de supposer. Imaginez que le seigneur Perceval ne redevienne pas visible...
Au moment même où il prononça ces mots, il eut comme une vague vision qui le tira de sa colère et le plongea à nouveau dans la déprime : Perceval invisible mais toujours audible, inventant encore plus de blagues à la con et profitant de ce don inespéré pour éviter les baffes...
Mais pour le moment, c'est Merlin qu'il avait bel et bien en face de lui
- Et quand on créé une potion, on cherche l'antidote en même temps, ça me semble la base. C'est bien beau de rendre toute l'armée invisible, mais après, on fait quoi s'ils se perdent dans les champs ?

Décidément le roi de comprenait rien à rien, ce qui avait le don d'exaspérer l'enchanteur. Il avait pourtant été clair non ?

-Mais je savais paaaaas que ça rendait invisible ! Vous pensez vraiment que je me serai amusé à chercher un antidote à un médicament contre l'angine ?! Je suis pas un pignouf moi !

Bon d'accord en cet instant très précis il en avait tout l'air mais quand même.

-S'ils savaient reconnaître leur gauche de leur droite ils se perdraient pas déjà ! Ho et puis zut hein si vous en voulez pas de ma potion et ben je me la garde marre d'être pris pour un sous fifre ho !

Un petit attroupement commençait à se former autour d'eux, ce qui n'arrangeait en rien l'humeur de Merlin qui se tourna vers les curieux pour leur lancer un regard des plus meurtriers

-Z'avez que ça à foutre d'écouter les conversations privées ? Allez cassez vous !

- Mais c'est pas la peine de vous en prendre à eux !
Si Merlin commençait à créer une émeute en plus, ils n'étaient pas sortis d'affaire. Il attrapa l'enchanteur par la manche et commença à le traîner loin de la foule.
- Et maintenant, de toute façon, vous allez arrêter de râler et venir avec moi au château. On doit retrouver Perceval, s'il y a encore moyen, et voir ce que vous pouvez faire de cette potion. Parce que je ne rêve pas non plus, vous prétendez pouvoir la refaire à volonté, mais vous êtes bien fichu d'avoir confondu du jus de betterave avec du gui et de ne plus vous en souvenir.
Il jeta un coup d'oeil derrière lui pendant qu'il s'éloignait de la foule pour vérifier que son idiot de garde du corps n'allait pas croire à une attaque et se mettre à dégommer tout le monde.

-Mais ils m'énervent à me regarder avec... avec leurs yeux !

Et oui l'enchanteur avait un sens de la répartie à toute épreuve. Déjà le roi le trainait loin de la foule grouillante des curieux. Merlin ne se priva pas cependant de leur lancer un regard des plus menaçants.

-Ca va, ça va z'enervez pas j'arrive.

Une fois de plus le roi remettait en cause ses talents, l'enchanteur se dégagea de sa poigne d'un mouvement du bras énervé. Il se mit alors en chemin vers le château avec un air pincé.

-J'vous ferai remarquer que confondre des ingrédients c'est pas pire que confondre chevalier et bons à rien !

La dernière remarque de l'enchanteur souffla sur la colère à peine cachée d'Arthur et il récupéra immédiatement Merlin par la manche en grommelant
- Non, mais de quoi j'me mêle ? Quand on aura besoin de l'avis d'un pignouf qui n'y connaît rien, on vous fera signe.
Ils traversèrent ainsi les dernières lieues qui les séparaient encore du château au pas de course. Entraîné à la fois par la curiosité de "voir" Perceval et par le besoin frénétique de dégager un peu de sa rogne sur autre chose que la tronche du druide, le Roi faisait des grandes enjambées...

HJ : Je propose qu'on poursuive le sujet dans le château, peut-être en rejoignant quelqu'un qui attend encore une réponse