Entraînement

Lancelot entra dans la salle d'armes. Il avait besoin de se changer les idées. La main sur son épée, il s'apprêtait à la dégaigner lorsqu'il stoppa net. Arthur était déjà là.
Ses sentiments envers lui étaient de plus en plus complexes. Tiraillé entre son amitié et son dévouement, le fait qu'il soit mal à l'aise devant lui et sa colère de voir son comportement vis-à-vis de sa femme, il avait parfois bien du mal à savoir où il en était.
Finallement, il fit quelques pas dans la salle. Le bruit dérangea Arthur dans ses passes.

-Pardonnez-moi, Sire, je ne voulais pas vous déranger...

Malgré le ton sincère de ses paroles, il semblait qu'elles avaient du mal à atteindre ses yeux.

Arthur ouvrit un oeil en entendant un léger bruit et aperçut le seigneur Lancelot.
- Non, non, vous ne me dérangez pas, ne vous inquiétez pas.
C'était dingue de voir à quel point Lancelot était perpétuellement coincé. Il avait toujours le chic pour sembler de mauvaise humeur. Mais lui, au moins, ne risquait pas de lui prendre le chou.
- Vous veniez vous entraîner, je suppose. Le Maître d'Armes est absent, mais allez-y, ne vous gênez pas pour moi.
Il continua de faire tournoyer Excalibur, parfois, il aimait le faire juste pour le spectacle, le son de l'épée le fascinait.

Lancelot aquiesca du regard et observa Arthur parader avec Excalibur et dut retenir un soupir. Il l'exaspérait, parfois, avec cette épée! Comme si la posséder lui donnait la royauté! La vraie royauté, celle empreinte de noblesse.
Traversant la salle d'armes, il alla se poster assez loin du roi pour ne pas l'atteindre d'un mauvais coup.
Il sortit son épée, certes moins flamboyante qu'Excalibur, mais dont il n'était pas moins fier, et fit quelques passes dans le vide, les yeux fermés.
Après quelques minutes, il s'arrêta de balancer sa lame dans le vide et ouvrit les yeux.
Ceux-ci brillant légèrement, et avec un sourire, il demanda à Arthur :

-Que diriez-vous d'un duel, Sire? Cela sera sans doute plus productif que des passes dans l'air, vous ne pensez pas?

Arthur cessa un bref moment sa contemplation du flamboiement de son épée royale pour se retourner vers le chevalier.
- Oui, ma foi, c'est une bonne idée. J'ai trop l'habitude des entraînements avec des nuls, et il me semble que nous n'avons jamais vraiment essayé un petit affrontement amical, tous les deux.
Il se préparait à faire quelques pas en direction de son ami, quand soudain, la lueur de l'épée le ramena à la réalité.
- Mais attendez, pour un bête entraînement, je ne vais tout de même pas vous imposer Excalibur, c'est pas du jeu.
Il rangea l'épée dans son fourreau, déposa celui-ci dans un coin de la salle d'armes et considéra les épées prévues pour l'entraînement qui étaient disposées en rangs.

Arthur songea soudain qu'il était presque vexant à chercher ainsi et il se retourna
- Je fais vite, ne vous inquiétez pas
Lancelot avait déjà dégaîné et il était malpoli de faire attendre ainsi un ami, il ramassa donc une épée presque au hasard et se mit à son tour en position.
- Allons-y, Lancelot, quelques passes pour nous dégourdir, cela nous fera beaucoup de bien.
Il préférait que Lancelot, qui avait après tout eu l'idée de cet entraînement, commence. Il ne doutait pas de ses qualités de bretteur mais la bienséance lui commandait de laisser à son "adversaire" l'honneur de l'attaque.
Il lui adressa un sourire d'encouragement, il était presque impatient de démarrer cette petite joute. En plus, Lancelot avait l'air un peu confus, comme s'il regrettait d'avoir proposé un duel à son roi alors qu'il aurait dû savoir qu'Arthur ne s'embarassait pas de telles formalités.

Lancelot eut un imperceptible sourire.

-Bien Sire.

Rapidement, il se mit en position d'attaque. Il attendit quelques instants, examinant un peu Arthur afin de savoir où et comment frapper.
Il avait toujours été curieux de savoir comment le Roi se débrouillait en duel singulier... Et sans Excalibur.
Comme prévu, donc, il attaqua le premier. Pas une réelle attaque, en réalité. Quelque chose de simple, de léger, histoire de se dégourdir un peu. Pour être franc, on ne pouvait pas dire qu'il y avait beaucoup de bons duellistes à Kaamelott, ça faisait donc longtemps qu'il n'avait pas engagé un combat amical en bonne et due forme.

Arthur para sans difficulté la petite mise en route de Lancelot
- Allons, mon ami, pas de ces politesses entre nous. Nous n'avons pratiquement jamais l'occasion de nous affronter, autant y aller franchement ! N'ayez pas peur d'attaquer votre roi et dites-vous que ce n'est qu'un combattant comme un autre que vous avez devant vous...
Il avait dit cela en souriant mais il trouvait Lancelot préoccupé, comme s'il n'était pas tout à fait à ce duel qu'il avait pourtant proposé lui-même. Bon, en même temps, Lancelot était toujours si changeant qu'il ne s'en étonnait pas, mais il aurait pensé que, comme le Maître d'Armes, le chevalier tiendrait à démontrer que le roi devait être une fine lame.

Lancelot eut un geste vague de sa main libre, ses sourcils se haussant pour reprenant leur place au fil de ses paroles.

-Je pensais que nous ferions d'abord quelques petites passes faciles, mais c'est comme vous désirez, Sire.

Du coup, le chevalier se remit en position d'attaque, avec cette tension particulière que donne tout bon duel.
D'un coup d'oeil rapide, il crut repérer une faille dans la défense du roi, sur le flanc gauche de celui-ci. Il fit un mouvement fluide sur le côté et dirigea son épée vers cette faiblesse. Un coup plus rapide et plus précis que le précédent.

- Ne faites pas le modeste, Lancelot, vous n'avez pas besoin d'échauffement, je le sais très bien !
Arthur avait souri tout en parlant, mais son chevalier commençait finalement à l'agacer... comme tout le monde d'ailleurs. Il avait l'air de supposer qu'il était en train de combattre une bleusaille...
Il para une nouvelle attaque plus rapide et un peu plus vicieuse et fit tourbillonner sa propre épée, pour se dégager de la prise de Lancelot mais aussi pour viser à son tour, dans la direction des jambes.
Il était bien placé pour savoir que Lancelot n'était jamais modeste, sauf faussement, et qu'il le fasse en sa présence lui donnait tout à coup une furieuse envie de lui mettre un coup en pleine tronche...
Concentration... Il ne devait pas se laisser distraire...

Lancelot ne répondit rien. Il était tout entier à son duel. Tout entier aussi à écarter de son esprit la vision d'un cadavre, et d'une femme à son bras...
L'épée tourbillonante, le roi lança une nouvelle attaque, elle-aussi plus forte. Le chevalier se fit forcer de faire un pas en arrière, pour pouvoir bloquer la lame d'Arthur de sa propre épée à sa guise.

-Joli coup, Sire.

Il souriait sincérement, et son sourire atteignait ses yeux. Quoique, pas tout à fait. Un éclat, peut-être, était plus sérieux. Le coup avait fait vibrer la lame ; il voulait vraiment le blesser ou quoi!

Au moment où il sentit l'impact du coup sur l'épée de Lancelot, Arthur fronça les sourcils. Il avait frappé trop fort et n'avait pas su totalement vaincre la colère qui commençait à monter.
Il se demandait si ce duel était une bonne idée, finalement... Lancelot avait un air un peu bizarre, et lui-même n'arrivait pas à se contrôler. Il était pourtant face à un ami.
Toujours à son humeur changeante, une certaine gêne pointa en lui et il répondit d'un air vaguement embarrassé au sourire et au compliment du chevalier.
- Bah, un peu violent peut-être, désolé. A vous, mon ami.
Il se mit nettement en position de défense pour montrer que la joute était d'une autre nature pour lui et observa les mouvements de Lancelot face à lui.

Lancelot rassura le roi d'une parole chaleureuse.

-Oh, ne vous inquiétez pas, Sire.

Mon ami... Le chevalier avait du se retenir un léger sursaut. Il tacha de conserver un visage avenant. Arthur ne devait rien savoir des pensées parfois noires qui trottaient dans l'esprit du chevalier du lac.
Cependant, son sourire s'effaça. Le duel reprenait. Assurant sa poigne sur son épée des deux mains, il fit une pirouette sur le côté pour lancer un coup ambié.
ce ne fut qu'après avoir ammorcé le mouvement qu'il se rendit compte qu'il avait envoyé sa lame dans la direction du crâne du roi. Mais il était trop tard, il ne pouvait pas s'arrêter sans paraître complètement ridicule. Et au fond de lui, il ne savait pas précisément s'il voulait qu'Arthur pare l'attaque ou pas...

Arthur était en train de réfléchir à son prochain coup quand il vit Lancelot lever son épée bien plus haut que nécessaire. Il crut tout d'abord à un début de moulinet compliqué et ostentatoire comme le chevalier errant les affectionnait.
Puis, il vit que la lame ne déviait pas, qu'elle arrivait véritablement en direction de sa tête. Il s'accroupit lestement et releva sa propre épée dès que celle de Lancelot fut passée au-delà du but qu'il semblait s'être fixé de manière à bloquer un éventuel retour.
Il commençait à avoir de sérieux soupçons sur les intentions réelles du chevalier qui avait commencé le duel et le regarda avec une froideur nouvelle.
- Je croyais qu'il s'agissait d'un entraînement... mon cher. Si vous avez d'autres projets, je vous conseillerais une méthode plus discrète, et surtout plus efficace.

Lancelot laissa tomber ses bras, son épée pendue au bout d'un de celui-ci, à peine tenue. Il secoua la tête, confus.

-Je...je ne comprends pas, Sire... Le...le coup est parti sans que j'y réflechisse...

Il s'éclaircit la voix, visiblement gêné. Il ne fallait pas être druide pour savoir quelles intentions cachées s'exprimaient dans ce geste irréfléchis.
Tachant de reprendre une contenance, il se remit en position de garde.

-Pardonnez-moi, Sire. Reprenons.

Il fronça légèrement les sourcils. Il ne pouvait plus se permettre de perdre le contrôle.

Il le prenait pour une bille en plus ? Arthur avait parfaitement vu que le geste du chevalier errant était décidé et calculé, comme tout ce qu'il faisait d'ailleurs...
- Bien sûr, ce sont des choses qui arrivent...
Il lui lança un regard plus que soupçonneux avant de se remettre lui-même en position de combat, mais plus de défense, cette fois, d'attaque. Il visa les jambes, passant sous le geste préventif que Lancelot avait entamé, mais sans grande conviction. Il ne comptait pas vraiment faire aboutir son geste, il se contentait de répondre à une provocation par une autre. Un peu plus subtile, du moins, l'espérait-il.
Il suivit du regard le mouvement de son épée et reporta ses yeux, toujours vigilant, sur Lancelot, pour observer sa parade.

Froissé, ayant bloqué la lame d'Arthur, Lancelot entama un mouvement complexe et ostentatoire comme il les affectionait, histoire de montrer un peu qu'il n'était pas comme tous ces idiots autour de la table ronde qui sont pas fichus de se servir d'une épée!
Mais, au beau milieu de sa parade, l'épée soulevée, le chevalier baissa soudainement les bras, et le fer fit un léger bruit. D'un ton râleur, il lança, avec un mouvement de la tête :

-Ho et puis non, c'est bon, laissez tomber.

Son attaque arrêtée ne porta évidemment pas le moindre préjudice à Lancelot, du moins pas sur le plan physique. Mais visiblement, son petit orgueil était touché. C'était vraiment la meilleure, il manquait de lui fendre le crâne et c'est lui qui s'offusquait !
- Oui, c'est ça, on arrête, de toute façon, c'est chiant.
Arthur lui tourna le dos, alla remettre en place l'épée de substitution qu'il avait eu la politesse de prendre et reprit Excalibur.
Que Lancelot aille donc se calmer en faisant un tour, qu'il se prenne une bonne cuite, ça ne pouvait qu'arranger son humeur constamment maussade.
Lassé, le roi avait repris ses exercices sans plus regarder le chevalier, sans même chercher à faire semblant de savoir ce qui n'allait pas chez lui... encore !

Lancelot eut un soupir ostentatoire en rengaignant son épée d'un geste brusque. Il lança d'un ton mi irrité mi narquois :

-C'aurait peut-être été un peu mieux si vous aviez mis plus d'entrain...

Il avait failli lui fendre le crâne? Pff, une broutille! Il l'avait bien évité! Et puis, c'était les affres des duels, après tout. Si Arthur s'était un peu remuée pour combattre avec énergie, ça ne serait pas produit!
Avec un mouvement orgeuilleux de la tête, Lancelot fit mine de partir...

Le roi poussa un long soupir désabusé, tout au fond de lui, il n'avait qu'une envie, lever son épée et en asséner un bon coup sur le crâne obtus du chevalier. Mais la part profonde d'humanité qui sommeillait en lui et lui attirait la majeure partie de ses problèmes faisait surface une fois de plus. Lancelot était toujours d'une humeur imprévisible, mais cette fois, le côté si hystérique de sa conduite laissait présager de quelque chose d'un peu plus important que ses crises habituelles.
- Si vous me disiez plutôt ce qui ne va pas... Ca n'a rien à voir avec ce duel et on le sait très bien tous les deux, alors arrêtons de jouer.
Le ton d'Arthur était conciliant, si son ami voulait se confier, il était tout prêt à l'écouter, il l'était toujours, mais il n'en avait pas systématiquement le temps, l'occasion ou pire, l'envie... Pour aujourd'hui, il pouvait faire un effort. Sa faiblesse était son désir de bien traiter ses chevaliers, de ne pas insister sur la hiérarchie, si pour changer, ça pouvait aider au dialogue.

Lancelot se stoppa et ferma les yeux tout en serrant les dents. Voilà qu'il le prenait pour un enfant, maintenant, et jouait au pédagogue! Il tourna sur ses talons et ouvrit les yeux...pour rencontrer le regard sincère d'Arthur.
Il eut un mouvement d'humeur et tourna un instant la tête sur le côté, avant que ses épaules ne s'affaissassent. Sa voix était tendue par une certaine lassitude.

-Je... je ne sais pas, Sire... en ce moment...

Il fit un geste vague de sa main avant de ramener ses yeux dans ceux du Roi.

-Ils m'énervent...tous. Je suis un peu sur les nerfs.

Cette manie qu'avait Lancelot de toujours se sentir supérieur, au dessus du lot général des chevaliers... Bien sûr, il était sans le moindre doute plus compétent que la moyenne, mais était-il pour autant nécessaire de l'afficher ainsi, constamment et ouvertement ?
- Vous savez bien que si vous voulez parler, je suis là, je ne vous force pas, c'est clair, mais bon... selon votre envie.
Il avait reposé Excalibur dans un coin. Tout dépendait maintenant du chevalier du Lac et de ses sautes d'humeur. Le roi était bien placé pour savoir qu'il s'agissait peut-être d'un coup dans l'eau, mais au moins, il aurait le mérite d'avoir essayé.
Il jeta un coup d'oeil en coin à son compagnon d'armes, et commença à jeter un regard circulaire dans la salle. Ils n'étaient toujours que tous les deux, si Lancelot avait envie de s'exprimer, il était libre de le faire, dans le cas contraire, Arthur espérait au moins qu'il choisirait cette fois un congé plus solennel et plus courtois que celui qu'il avait tenté auparavant.

Cette fois-ci, le chevalier eut un sourire franc.

-Merci, Sire.

Une lueur étrange alluma ses yeux, alors qu'il reprit :

-Mais je crains que vous ne puissiez rien faire, cette fois-ci.

Puis, souriant de nouveau, il s'inclina légèrement, tourna les talons et s'en alla, main sur son pommeau. Au moment où Lancelot sortit de la salle d'armes, alors qu'il entendait Arthur reprendre son entraînement, celui-ci était repassé à ses yeux au rang d'ami sincère. Les éternelles sautes d'humeur de Lancelot...